Dr Anne Laurent-Vannier, neurologue et médecin en rééducation mais aussi expert judiciaire agréée par la Cour de cassation, nous éclaire sur le Syndrome du bébé secoué.
Docteure Anne Laurent-Vannier - Oh oui, j’en suis persuadée, pour moi il y a entre 400 et 500 bébés secoués par an, et c’est, de façon certaine, sous-évalué. Le diagnostic n’est pas toujours fait, parce que lorsque ça survient le bébé peut conserver une apparence normale. Il n’y a pas d’ecchymoses qui alertent. Toutes les lésions sont internes : à l’intérieur du crâne, des yeux… De plus l’auteur du secouement ne le dit pas. Et il ne dit pas non plus les premiers symptômes. Un bébé secoué va être « calmé ». En fait il est assommé. Ensuite apparaissent d’autres symptômes qui peuvent paraître anodins, voire pas très grave : vomissement, pâleur…
Enfin, les soignants et médecins ne sont pas formés à reconnaître la maltraitance. Or si devant ces symptômes, on ne pense pas à la maltraitance, il n’y aura alors pas les examens nécessaires à ce diagnostic : le scanner. Il y aura également un risque majeur de récidive car l’on sait maintenant que le plus souvent c’est répété.
Oui, les données dont je parle sont sans compter ceux qu’on ne diagnostique pas et qui ont des séquelles des années après comme des crises d’épilepsie, des troubles de l’attention, des défauts d’apprentissage… Sauf qu’avec les années le sang dans le cerveau s‘est résorbé, donc aucun moyen de prouver que les séquelles sont dues à un secouement étant bébé.
Le geste de secouer un bébé est extrêmement violent. Quand on lance un bébé en l’air pour jouer ce n’est pas la même chose car la tête du bébé reste dans l’axe grâce aux bras de l’adulte, qui l’accompagne à la montée et à la descente.
Par contre, quand un bébé est secoué, la tête ballote violemment et exerce des hyperflexions contre le torse. On devrait presque parler de « syndrome de la tête secouée » car c’est ce mouvement de flexion et extension qui génère les lésions.
On dit souvent qu’un bébé a une grosse tête ou qu’il ne tient pas sa tête. Il faut savoir que ce n’est pas cela qui est important. Ce qui est primordial c’est le rôle de l’adulte. Face à un bébé qui fait quelques kilos, un adulte peut faire 10, 20, 30 fois son poids. Le rapport de poids est tout à fait contre l’enfant. On pointe également actuellement la variation de tolérance aux pleurs d’un adulte. Certains adultes peuvent entendre pleurer un bébé pendant des heures sans que ça leur fasse grand-chose et d’autres ne tolèrent pas le moindre pleur. Donc les secouements peuvent intervenir dès les premiers pleurs de l’enfant. Cela peut arriver très vite, certains bébés sont secoués dès la première heure de garde, dès le premier jour…
C’est là toute la problématique. Un bébé secoué peut avoir des symptômes très variés qui vont d’un bébé qui mange moins bien à la mort…
Alors pour qu’un pédiatre s’alerte par exemple, il faut déjà qu’il soit alerté sur ce syndrome, qu’il l’ait en tête et que face à un bébé qui vomit inhabituellement, on prenne en compte son tonus, sa vigilance, comment il tient sa tête, s’il prend bien ses biberons, ses interactions, qu’on mesure son périmètre crânien… Et puis sans attendre, l’envoyer faire un bilan à l’hôpital pour que le diagnostic soit posé au plus tôt.
Je ne crois pas. Nous sommes tous susceptibles d’être exaspérés et d’avoir des pulsions de violences. En revanche, le geste est tellement violent qu’il montre que l’on n’est pas tous susceptibles de secouer un bébé. C’est un geste volontaire d’une extrême violence. Et ce n’est pas parce que l’on garde sur la durée un bébé que l’on a le plus de risques de le secouer. Les mères ne représentent ainsi que 10% des auteurs de SBS. Les premiers auteurs sont les pères et les assistantes maternelles. Et l’on constate également que les secouements arrivent souvent précocement : au début, quand le mode de garde s’installe.
Quand on se sent à bout, le mieux c’est de poser son bébé sur le dos dans son lit, le laisser pleurer et sortir de la pièce pour se calmer. Il faut le dire, un bébé qui pleure sur le dos dans son lit ne risque absolument rien. Par contre, un bébé qui pleure dans les bras d’un adulte exaspéré risque beaucoup.