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Il y aurait « 17 fois moins d’enfants atteints de TDAH » que ce que les chiffres prétendent

Sébastien Ponnou, psychanalyste et maître de conférences, a publié une étude en se basant sur les données de l’Assurance maladie : elle révèle que les chiffres actuels seraient au-dessus de la réalité.

LMDM- Pouvez-vous nous présenter votre étude ?

Sébastien Ponnou - C’est une étude de prévalence [NDLR : nombre de cas d’une maladie] de l’activité TDAH en France et particulièrement une étude qui porte sur les taux de diagnostic et le traitement de l’hyperactivité. Le TDAH [NDLR : trouble de déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité] est en général considéré comme le trouble le plus fréquent chez les enfants d’âge scolaire mais, dans la mesure où il n’existe pas de test biologique qui permet de diagnostiquer l’hyperactivité, la question de la prévalence fait l’objet de nombreux débats au niveau international.

Et plutôt que nous baser sur des enquêtes téléphoniques qui sont soumises à controverse, il nous a semblé préférable de nous référer à la réalité des diagnostics et des prescriptions des médecins qui sont référencés dans les bases de données de l’Assurance maladie et en l’occurrence, qui sont représentés dans un rapport de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANS).

Quels résultats avez-vous pu tirer de vos recherches ?

Selon ces données, le taux de prescription de méthylphénidate chez les enfants de 6 à 11 ans, est de 0,2 %. Grâce à ce chiffre, on peut inférer un taux de prévalence pour l’hyperactivité TDAH de 0,3 % chez les enfants. Ces résultats sont assez surprenants dans la mesure où ils sont 17 fois moins élevés que ceux rapportés par la Haute autorité de santé (HAS) qui relayent un taux de 4 à 6 % d’enfants TDAH. 

Pourquoi la plupart des médias et politiques parlent de 4 à 6 % d’enfants TDAH ?

Ces résultats, publiés par l’HAS proviennent d’une étude réalisée en 2011 qui présente à mon sens un certain nombre de biais méthodologiques. Il s’agit d’une enquête téléphonique réalisée par des opérateurs non spécialistes et formés sur le tas. Ce qui pose question c’est de savoir comment déterminer si un enfant peut être diagnostiqué TDAH ou non sans l’avoir jamais rencontré, ni jamais l’avoir entendu ou lui avoir parlé mais simplement par le biais d’une enquête par questionnaire. Quand on connaît la complexité de ces questions cela semble assez surprenant. L’étude de 2011 met également en exerce un taux de prescription de méthylphénidate de 3,48 %. C’est un taux 17 fois supérieur à la réalité des délivrances de médicaments enregistrées par la Sécurité sociale.

Est-ce que ladite étude est soumise à un conflit d’intérêt ?

L’étude est soumise à un conflit d’intérêt avec le laboratoire Shire qui commercialise la version la plus répandue du méthylphénidate en France. Il a été déclaré concernant un des auteurs, dans le cadre de la publication de l’article. En revanche, les 2 autres auteurs de l’étude n’ont pas déclaré ce conflit d’intérêt mais ils sont très impliqués et interviennent régulièrement en qualité d’experts sur le site internet de l’association Hypersupers TDAH France qui a reçu plusieurs financements de l’industrie pharmaceutique. Ces chercheurs et la présidente de l’association sont très régulièrement invités en tant qu’experts à la télévision, dans la presse ou sur internet. Le problème de mon point de vue c’est que l’information qu’ils diffusent tombe sous le coup du conflit d’intérêt et va influencer les discours, les demandes de soins, les pratiques professionnelles, et potentiellement, jusqu’aux politiques de santé.   

À qui bénéficient ces conflits d’intérêt ?

Si l’on regarde le rapport de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) publié en 2017 c’est assez explicite. Ce rapport indique que la consommation de méthylphénidate en France augmente de manière exponentielle à partir de 2003 et qu’entre 2008 et 2012, les ventes augmentent de 167 %, puis de 13 % par an depuis cette date.

Quelles retombées concrètes attendez-vous au vu des résultats de votre étude ?

J’aspire à de meilleures conditions de soins, d’accueil et d’accompagnement pour les enfants et les familles. Ces résultats préliminaires nous engagent également à aller plus loin dans l’analyse des bases de données de santé. Et nous allons continuer à étudier les enjeux diagnostics et thérapeutiques, ainsi que les parcours de soins et les parcours d’inclusion des enfants diagnostiqués TDAH ou traités par methylphénidate, pour en déduire les pratiques les plus à même de contribuer aux soins de l’enfant et au soutien des familles. J’aimerais également fairerésonner une autre voix qui puisse être prise en compte et entendue, notamment dans l’élaboration des politiques et des pratiques de santé.

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